Il m’est arrivé à plusieurs reprises de lire qu’il n’était pas possible de réaliser des superpositions à la gouache. Le jour où cela a le plus brisé mon petit coeur, il s’agissait de l’un de mes abonnés me rapportant qu’une vendeuse dans un magasin de fournitures artistiques lui avait affirmé cela avec beaucoup d’aplomb, et l’avait réorienté vers la peinture acrylique.
Voilà, si même les professionnels du matériel de beaux-arts s’y mettent, moi je ne sais plus quoi faire.
Enfin, si. Je peux faire un article et essayer de vous expliquer les choses avec toute la clarté dont je suis capable.
Peindre à la gouache : Une peinture réactivable
La vendeuse mentionnée en introduction n’a pas choisi de réorienter son client vers l’acrylique par hasard. Lorsqu’il s’agit de superposer différentes couches de peinture, il y a une différence fondamentale entre la gouache et l’acrylique : Cette dernière sèche de façon définitive. La gouache, elle, peut toujours être réactivée à l’eau.
Au passage, pour plus d’informations à ce sujet, vous pouvez consulter mon article sur les différences entre gouache et acrylique.
Mais revenons-en à nos superpositions. Une personne peu renseignée sur la gouache en déduira que si l’on ajoute de la peinture humide sur de la gouache sèche, la gouache sèche va se réactiver, et se mélanger avec la nouvelle couche de peinture.
Exemple : J’ai une sous-couche noire, j’applique une couche blanche par-dessus, j’obtiens alors du gris.
Ma superposition est un échec, car j’aurais dû avoir du blanc.
Mais ça, c’est parce que j’ai fait comme si je peignais avec de l’acrylique.
Ne blâmez pas le médium si vous ne tenez pas compte de sa nature lorsque vous l’utilisez.
Principes de base des superpositions à la gouache
Une sous-couche parfaitement sèche
Maintes fois j’ai eu l’impression que toute mes touches de gouache se mélangeaient inexorablement avec la sous-couche. Et maintes fois j’ai pu constater qu’en reprenant ma création le lendemain ou quelques heures plus tard, je ne rencontrais plus aucun problème.
J’en ai déduis que la gouache était parfois facétieuse, et elle pouvait sembler bien sèche au toucher… Il n’en était rien en profondeur. Il suffit qu’un peu d’humidité persiste au coeur de la sous-couche, et la superposition fonctionnera mal.
Une humidité maîtrisée
Votre sous-couche est totalement sèche, vous en êtes certain, vous pouvez donc peindre par-dessus l’esprit serein. Mais cette nouvelle peinture que vous vous apprêtez à déposer nécessite votre attention également.
Le plus facile consiste à utiliser le moins d’eau possible. Moins il y a d’humidité, moins la sous-couche pourra se réactiver. Mais il y a deux cas pour lesquels on peut vouloir superposer ses couches de gouache :
- On veut apporter une touche opaque de peinture et masquer totalement la sous-couche. On utilisera le moins d’eau possible, et pour de petites touches on peut peindre sans eau. Attention, lorsque plusieurs coups de pinceaux sont nécessaires pour remplir la surface à peindre, l’eau est indispensable. Le tout est de la doser au minimum.
- On veut apporter une touche transparente (glacis) et laisser entrevoir la sous-couche. On diluera beaucoup notre gouache, mais on prendra soin de bien essorer son pinceau avant de l’appliqer pour qu’il contienne le moins possible de liquide.
Un pinceau économe lors des superpositions à la gouache
Lorsque vous voulez faire partir une tache de votre plan de travail, vous savez qu’il vous faudra frotter pour y parvenir. Le mouvement de votre éponge ou de votre chiffon, la pression que vous exercez dessus permettront de décoller les particules de matière de leur support.
Le pinceau aura le même effet sur la peinture. Plus vous frottez, plus vous appuyez, plus vous transportez de liquide, et plus votre sous-couche sera susceptible de se décoller.
Veillez donc à garder une pression minimale, et à ne pas exagérer vos coups de pinceau. Pour cela, un pinceau adapté au format de la zone à peindre est essentiel : Utiliser un pinceau trop petit nécessitera beaucoup de touches, qui seront plus susceptibles de réveiller la sous-couche.
Des pigments opaques pour réussir ses superpositions à la gouache
Evidemment, il difficile d’espérer recouvrir sa sous-couche efficacement si la peinture employée est transparente.
Or, la gouache est censée être une peinture opaque, c’est même sa principale différence avec l’aquarelle. Cependant, cette opacité dépend de beaucoup de choses :
- La gamme : Les gouaches d’entrée de gamme sont souvent plus transparentes que les professionnelles.
- La façon dont la peinture est diluée : Trop diluée, elle perd drastiquement en opacité. Non diluée, elle recouvrira le papier de façon hétérogène, créant des zones opaques et des zones transparentes.
- Les pigments contenus dans la couleur. Certains sont transparents, et il faut faire attention car parfois les fabricants notent leurs couleurs comme étant opaques malgré tout.
Peindre de multiples couches à la gouache : Le secret
On a l’impression, comme ça, que les superpositions à la gouache devraient être par petites touches ça et là, pour ne surtout pas perturber la sous-couche.
Mais laissez-moi vous parler d’une technique redoutable : Un tableau à la gouache fait entièrement de superpositions.
Peindre en glacis à la gouache
Le tableau ci-dessus a été fait en grande majorité de glacis posés les uns sur les autres. Peindre en glacis implique de diluer sa peinture au-delà du ratio habituel. La texture n’est plus crémeuse, elle est plutôt laiteuse.
Une multitude de couches très fines peuvent être superposées sans le moindre problème, car n’oublions pas que la gouache est une très proche parente de l’aquarelle (voir mon article : Gouache ou aquarelle).
Alors lorsqu’on la dilue beaucoup, elle se comporte comme sa cousine… Et se laisse absorber par le papier. Cela signifie qu’il y a beaucoup moins de pigments stagnant à la surface de celui-ci. Et donc, ils se réactiveront beaucoup moins facilement que dans le cas d’une peinture déposée en épaisseur.
D’ailleurs, je vous précise que ce tableau a été peint sur du papier en cellulose. Mais on pourrait certainement avoir encore plus de facilités en choisissant du papier en coton, qui est plus absorbant.
Observez l’étape ci-dessous, qui montre déjà plusieurs couches en fonction des zones. Tout le papier a d’abord été teinté d’un jus très dilué de rouge de Cadmium (zone les plus claire sur les bras). Ensuite j’ai ajouté des ombres avec de la peinture toujours extrêmement diluée (ombres de la robe, de la fenêtre, du rideau de droite). Ensuite seulement j’ai commencé à opacifier la peinture (rideau de gauche, visage et cheveux).
Maîtriser la dilution de sa peinture
Je ne saurais pas vous dire combien de couches ont été passées sur ce tableau car cela dépend aussi des zones. Mais l’essentiel à retenir est ceci :
En allant de la peinture la plus diluée vers la moins diluée, superposer ses couches de gouache ne pose aucun problème.
Sur l’étape ci-dessous, on peut deviner que la robe est construite avec de multiples couches de différents verts, permettant de donner l’illusion des plis du tissus. Notez comme les clairs sont secs et opaques, ce qui aide beaucoup à l’aspect tridimensionnel du rendu.
Dans ce cas précis de travail de volumes, j’aimerais noter une chose importante : Le mélange des couches entre elles devient un avantage. Il m’arrive d’insister volontairement avec mon pinceau pour réactiver les sous-couche et obtenir un mélange : C’est tout simplement parfait pour m’assurer davoir une belle harmonie de couleurs.
Pourquoi superposer ses couches de gouache ?
Le tableau que je vous ai présenté ci-dessus est un exemple un peu extrême, du moins pour ma pratique personnelle. D’ordinaire, je peins avec beaucoup moins de couches différentes, mais il est extrêmement rare pour moi de n’en avoir qu’une seule.
A minima, je trouve qu’une première couche plus diluée que la normale est très bénéfique, surtout pour les tableaux complexes. Voici pourquoi :
- S’il s’agit d’une couche à plusieurs couleurs, on peut créer un guide de valeurs qui faciltera la suite du processus.
- Elle donne une première atmosphère au tableau.
- S’il s’agit d’une couleur appliquée de façon uniforme, elle permet d’apporter une unité.
- Plusieurs glacis les uns sur les autres apportent des nuances riches et complexes.
Sur ce poisson par exemple, ma première couche était faite au rose Opéra. Bien que ce sujet soit traité de façon opaque, on voit encore le rose par endroits. Je trouve qu’il apporte une touche de dynamisme à l’ensemble !
Résolution des problèmes de superpositions à la gouache
Reprenons notre premier exemple : Le blanc sur la sous-couche noire.
Dans cet exemple, le noir avait été déposé de façon épaisse, et le blanc avait été dilué de façon à ce qu’il s’étale raisonnablement bien, tout en restant opaque.
Parce que ce sont deux couleurs à l’opposé l’une de l’autre sur l’échelle de valeurs, et parce que le blanc contenait de l’humidité, il était évident que la couleur obtenu serait un gris. Mais comment faire alors pour avoir du blanc ?
Tout d’abord, peindre une grande zone de blanc sur une grande zone de noir n’est pas très malin (sans vouloir offenser qui que ce soit). Il aurait été bien plus logique de ne pas mettre de noir aux endroits que vous souhaitiez blancs. Mais bon, admettons, on était vraiment dans la lune et maintenant on est tout grincheux parce qu’on ne veut pas recommencer, mais on ne veut pas de gris pour autant.
Bon. Eh bien on va arrêter de bouder, laisser son gris sécher complètement. Et remettre une couche de blanc peu diluée par-dessus. Parce que là, on ne cherche plus à blanchir du noir mais du gris, donc le saut de valeur est déjà bien moins important. Aussi, n’oubliez pas : Vous avez besoin d’eau. Si vous n’en mettez pas, votre peinture sera moins couvrante parce qu’hétérogène (sauf cas de petites touches).
Et c’est ainsi que l’on pourra recommencer cette opération jusqu’au résultat souhaité : Laisser sécher, repeindre, laisser sécher, repeindre. Toujours avec une peinture peu diluée, et toujours en essayant d’économisser les coups de pinceaux.
Merci d’avoir lu cet article !
Savoir effectuer des superpositions à la gouache est non seulement possible, mais pour ma part je considère que c’est une compétence indispensable pour maîtriser cette technique.
Et pour tout apprendre de A à Z, vous pouvez aussi suivre ma formation : Révolution Gouache.